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Jean-Paul Sartre
   

Jean-Paul Sartre

Jean-Paul Sartre, c'était le diable. Ce n'était pas le seul diable du panthéon familial, Freud tenait bien son rang par exemple, un obsédé sexuel qui cherchait à lire dans les pensées en contrefaisant la confession, son nom était une grossièreté à lui seul. Mais Sartre avait sa place à part, un diable de qualité supérieure : il était tout ce que ma famille avait en sainte horreur, et d'abord un intellectuel de gauche athée, très intellectuel, très à gauche, très athée. Le diable.

On me faisait croire que ses étudiants se suicidaient. Il se racontait aussi - et jusqu'il y a peu - que la Suède était le pays d'Europe qui comptait le plus de suicides, un véritable fléau de santé publique. En bref, la pensée de gauche et même la social-démocratie du modèle suédois conduisaient au deuil de l'espoir individuel et à la détresse personnelle indicible, celle qui mène au suicide. C'est ce qu'il fallait saisir. On comprend mieux la terreur sincère de ma grand-mère le 10 mai 1981 : les chars russes à Paris et la moitié de la population se défenestrant, ça ne l'enchantait guère.

L'homme avait un tel parfum de soufre que le jeune homme que je fus, adolescent des années 70, ne pouvait que venir le respirer d'un peu plus près. Et j'ai plongé dans la littérature du monstre, Les mots dont je connais la dernière phrase par coeur et que je cite volontiers, son théâtre avec une préférence pour Les séquestrés d’Altona, Réflexions sur la question juive lu de retour de Palestine en 1984, Saint Genet, comédien et martyr qui fut une révélation, conduisit certains de mes choix dans l'adversité et me fit lire Jean Genet ensuite, les Situations dont ma collection incomplète toutefois n'est pas la moindre pépite de ma bibliothèque, j'en passe ... J'ai le sentiment intime que Sartre m'a appris à lire et m'a donné le goût de la recherche et de la réflexion intellectuelles. Il ne fut pas seulement une initiation mais une sorte de rite de passage qui m'amena à Foucault, Bataille, Barthes, Eco (il collabora aussi à la revue Tel Quel - on l'oublie - et me fascine).

Lorsque Sartre est mort le 15 avril 1980, c'est étrange, j'ai acheté la quasi totalité de la presse, évidemment Libération inclus, le quotidien créé sous son égide en 1973, qui n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut ... J'ai encore une partie de ces journaux dans un carton. Néanmoins, au fond, Sartre a moins compté dans ma formation personnelle que Roland Barthes un rien plus tard mais il fait partie de ses figures tutélaires qui m'ont permis d'échapper à mon destin.

 

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